DEATH.
Le froid pénétrait dans sa chair, pour geler chacune de ses cellules. Il sentait ses membres s’ankyloser au fur et à mesure que la nuit approchait. La faim le tiraillait plus que de raison, car cela faisait bien cinq jours qu’il était coincé sous cette planche de bois, un clou enfoncé dans la fémorale, qui maintenait sa pression sanguine à un niveau constant. Il suffisait d’un mouvement pour détruire ce clou, et que son sang rende la mer rouge. Il avait soif mais l’eau était salée, et son corps ne pouvait pas accepter le sel que l’eau le lui donnait. Sur ses mains, des engelures commençaient à apparaitre, et son cœur se mettait à battre de plus en plus lentement. Les pupilles dilatées, il sentit qu’il partait de ce monde vivant auquel il avait appartenu durant des années. Il avait froid, tellement froid… Le monde lui paraissait vain maintenant qu’il était en train de sombrer de l’autre côté de la barque, et la mer lui rappelait le Styx sur lequel la mort prenait les gens sans arrêt, monnayant une modique somme que vous lui donnez. Et Blue sentait qu’il était en train de sombrer. Et après être tombé dans le coma, la mort l’avait pris dans un sommeil d’hypothermie. En plein hiver, il avait été assez idiot pour sortir de chez lui, et prendre le bateau, pour pêcher le gros poisson. Sa femme et ses enfants l’avaient retenu, mais comme il n’en faisait qu’à sa tête, sous la pluie, contre vents et marais. Il n’était jamais rentré dans son domaine, et était tombé mort après quelques jours.

MEMORIES.
Il ne se rappelait que d’une chose, de son passé. Sa fille. Sa chère petite fille, brune, magnifique, la peau blanche, il l’avait dans la peau. Et il manquait cruellement à la vie de Blue, qui se sentait mourir à chaque fois qu’il pensait à elle. Sa fille avait l’âge de six ans. Il l’avait eu jeune, mais il avait su s’en occuper avec la femme qu’il avait épousé pendant sa grossesse. Il ne se rappelait pas d’elle, il n’avait aucune idée de qui elle était, mais il se rappelait de sa chair. Elle s’appelait Noah, un petit être conçu avec un amour passionnel, pourrie gâtée par un père qui faisait tout pour elle. Mais il compensait ce manque. Même si son passé était complètement parti dans les méandres d’une vie antérieure, il pouvait se contenter des souvenirs qu’il pouvait se créer aujourd’hui.

REVENGE.
En arrivant à Wonderland, la reine Blanche l’avait prit son aile, lui promettant monts et merveilles. Elle pourrait exaucer chacun de ses vœux, être la femme parfaite, lui offrir ce qu’il désirait, même les souvenirs perdus qu’il possédait. Il pourrait avoir un bateau, juste pour lui, pour qu’il puisse naviguer entre les continents à sa guise, comme un vrai marin. Comme le vrai marin qu’il est et qu’il a toujours été. Et après maintes demandes, et maintes relances, il n’eut jamais ce qu’il espérait, et ce qu’il attendait. Il pensait que c’était dû à un simple oubli de la part de la reine Blanche, mais non. Elle avait perdu la tête, muté dans une mélancolie que personne ne put comprendre. Et jamais son projet ne fut abouti.
La reine Rouge, elle, avait été enclin à comprendre sa tristesse. L’eau, la mer, la navigation… C’était son jeu, sa joie. Mais elle lui offrit seulement une épave. Une épave dotée d’un lieu hors du commun, accompagnée d’un cabaret, de loges, de pièces aménagées en chambre… Il peut enfin se montrer tel qu’il est. Un homme manipulateur, vil, joueur, et assassin. Il soumet des femmes qu’il apprécie pour de l’argent que donnent des hommes avides de sexe. Il sent qu’il peut avoir main mise sur ses proies comme il le souhaite. Mais sa haine envers la reine Blanche est en train de s’accroitre au fur et à mesure. Elle a brisé les espoirs qu’il avait mit en elle, pour penser à son propre égoïsme sans penser au peuple qui était la pour lui donner ce qu’elle désirait. Il avait offert à cette reine tous ses biens, son argent, son temps pour qu’elle puisse lui offrir ce qu’il voulait, mais, déçu de l’ingratitude qu’elle avait pu montrer, il se montait la tête. Il commençait à monter une rage qui le rendait avide de vengeance. Et c’est ce sentiment qu’il entretenait chaque jour de sa vie.

BOAT.
Elles étaient treize. Ce chiffre qui portait malheur, qui ne comptait que des déceptions et des désastres quand il était mal formaté. Elles étaient treize femmes à vendre leur corps sur le bateau « La sirène mutilée. » Blue en faisait bénéfice, et forcément, les sous lui revenaient de droits. Il aimait ses filles comme des amis, comme de vraies princesses. Elles vendaient leur corps mais elles étaient traitées comme de vraies reines, parfois même Blue profitait de leurs services. Gratuitement. Il avait sa préférence pour l’une d’entre elles, mais sachant qu’elle avait été conseillée par la Reine Rouge, il ne pouvait se résigner à l’enlever de ce bordel de lit qu’elle utilisait pour rencontrer des hommes de tout âge.
Son cabaret était quelque chose auquel il tenait particulièrement. Il avait pris beaucoup de temps pour le modeler à son image, un endroit sombre, sordide, presque morbide qui donnait envie aux hommes de tromper leur femme, de se saouler jusqu’à en mourir ou bien même d’attraper n’importe quel maladie en s’accouplant avec une des filles à bord du navire échoué. Cet endroit, il le chérissait plus que tout, comme l’enfant qu’il avait perdu, mais qu’il se rappelait. Une femme ? Il n’en avait jamais eu. Enfin… Il ne s’en rappelait pas, bien entendu. Il voulait juste croire que l’amour frapperait à sa porte. Mais ce n’est pas son métier de proxénète qui allait attirer les femmes les plus saines d’esprit dans un monde aussi embué par la folie que celui-ci.