La chaleur est agréable, maintenant qu'il a remis du bois dans la cheminée. Il fait si bon. Je me blottis dans mes draps, calée contre un édredon bien rembourré. Pourtant, il me semble que quelque chose ne tourne pas rond. Il commence à faire chaud, mais bien trop chaud pour que ce ne soit agréable, cette fois.Le parquet du couloir se met à grincer, et je m'attends à voir ma mère dans l'embrasure de la porte, venant vérifier si tout va bien. Il fait bien trop chaud. Pourtant, c'est un œil rouge et perçant. Un œil inconnu, et mauvais. Accompagné de cris, de hurlement. Et puis, il disparait, tout comme les bruits suppliants et apeurés. Et le noir de la fumée envahit la pièce, avant que le feu ne se charge du reste.

L'air est si bon, si doux. Et surtout si frais. Le vent nous caresserait presque, tant son souffle est chaud et agréable. Les bruissements des feuilles nous bercent, si bien que je manque de m'assoupir. Pourtant, quelque chose me tire de cette rêverie. Ou bien m'y emmène encore plus profondément, puisque je suis nez à nez avec une drôle de créature. Un lapin blanc, portant un petit haut de forme qui complète une tenue de majordome bien étrange. A sa main, tic tac, une montre à gousset semble donner l'heure. Mais quelle heure, au juste, lorsque les aiguilles ne cessent de tourner ? Et où sont passés les médecins, et cette mystérieuse femme qui sombrait ?

L'ombre du majestueux arbre derrière moi se fait pesante, si pesante que je m'y laisse couler. Telle de l'encre, l'ombre embrasse ma silhouette, se colle à ma peau, m'attire dans les profondeurs. Comme dans un rêve, je ne respire plus. Je n'agis plus. Je ne fais plus que flotter. Et ce sentiment presque désagréable se stoppe lorsqu'une surface dure entre en contact avec mes pieds, lentement, doucement. Je m'y sens soudainement mieux, sans aller pourtant bien. Ici, il doit être impossible de ressentir quoique ce soit de normal, logique ou certain.

Cela semble floue, indécis. Irréel, aussi, mais c'est bien ça, le principe d'un rêve. J'avance pas à pas, tentant de percer l'ambiance qui m'entoure. Je me sens légère, apaisée. On pourrait même dire que je me sens bien. Peu à peu, mes yeux s'habituent au paysage, et des décors époustouflants m’apparaissent enfin. Des falaises lisses et difformes, des coquillages géants et des poissons habillés et humanisés, voilà ce que je découvre. C'est assez étonnant, et quelque peu étonnant. Et puis, un beau bateau s'élève, parmi des algues vertes dansantes. La Sirène Mutilée ? Ce nom ne m'a absolument l'air mauvais. Mais l'absolu est relatif.

Tout y est amusant, et festif. Tout y est rythmé, et fantastique. Rien n'a l'air pourtant vrai. Mais le spectacle m'emmène, et la musique m'enchante. Les airs de violon et les voix des femmes sont si tentantes, si entrainantes qu'on ne peut riposter. Sans défense, nous voilà au milieu de cette agitation, de ces personnes qui vivent, qui respirent, qui sont heureux. Et puis, on trouve cet homme qui se présente si élégamment. Il vous prend la main, vous fait danser quelques pas. Vous tournez sur vous-même, vous vous sentez belle, et vivante. Et puis, les rideaux se referment sur vous.

Le spectacle a toujours sa double face, son côté sombre que l'on ne peut voir en tant que spectateur. Mais lorsqu'on est derrière les coulisses, toutes les choses affreuses et terribles, elles appartiennent à notre monde. Elles font partie de nous, détruisent le moindre espoir pour nous anéantir, allant jusqu'à ronger nos âmes. Et notre conscience. Derrière les rideaux, nous ne sommes plus vivantes. Que de vulgaires marionnettes qu'il est bon d'utiliser et d'user. De simples jouets, inexistantes le jour et belles la nuit. Pourtant, cela prend place dans notre quotidien, et nous nous y faisons. Nous l'acceptons, et ne nous débattons pas. Du moins, c'est ce qu'elles font. Je n'y arrive pas.

Les jours me paraissent longs, et les nuits effrayantes. Le rêve que je croyais vivre devient le plus horrible de tous les cauchemars. Captive, abusée, détruite. Si seulement je pouvais m'échapper, voir le monde. Mais bien sûr, il m'en est impossible. Une tentative de retrouver ma liberté m'a coûté cher. Me voilà souillée dans le plus profond de mon âme. Plus aucun espoir ne s'offre à moi. Ou peut-être bien qu'il va se pointer. Il serait temps.