Je me suis toujours considérée comme une fille chanceuse. Malgré les hauts et les bas, malgré les galères, la peine et le désespoir, j’ai toujours eu cet instinct qui faisait de moi une optimiste. Je suis née par un glacial jour d’hiver alors que les dernières feuilles tombent des arbres et se colorent d’une teinte glacée. Mon apparition dans ce monde cruel et réaliste, se fit dans un élan de joie et da facilité pour mes deux parents. Monsieur et Madame Blanchard avaient vécu une vie d’amour et d’eau fraîche entretenue par deux boulots qui leur assuraient des revenus modestes. Leur rencontre s’est fait aussi naturellement que ma conception, en y enlevant l’aspect sexuel, bien sûr. Ils faisaient du jogging chacun de leur côté, ma mère courant au rythme de ses musiques préférées, diffusées à l’aide d’un vieux baladeur, enfin pas si vieux que ça à son époque. Il me semble même qu’elle l’a gardée dans une boite au grenier. Quant à mon père, c’est simple, mû par un reflexe purement masculin et par l’attrait du corps à moitié nu de ma mère, il la suivit, ne pensant pas une seconde qu’elle aurait deviné sa présence. Malheureusement pour lui, elle l’a vite remarqué et a accéléré la cadence. Faisant appel au machisme le plus profond, mon père croyait naïvement qu’il arriverait à la rattraper. Grossière erreur. Elle l’a semée en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Adossée cotre un arbre, elle l’a attendue en souriant, ce pauvre bougre qui avait enfin dû mouiller son t-shirt pour pouvoir courir après une fille. Sans dire un mot elle lui tendit un morceau de papier où était griffonné son numéro à l’époque. Le destin avait réuni Elisabeth Dupuis et Waël Blanchard pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à ce que la mort de leur fille les sépare. Mais ça c’est une autre histoire.

Mon enfance s’est déroulée dans la plus exquise candeur. Une volupté parfaite, un cocon remplis d’amour, de joie et de jeu. Camus disait que le bonheur est une brûlure qui ne se savoure pas. Je n’ai jamais compris le sens de cette phrase jusqu’à ce que je quitte mon petit village pour la capitale. Mais avant de connaître la cruelle déception d’un avenir raté, il me restait encore de belles années que je comptais mordre à pleine dent. Dès mon plus jeune âge, je vécus pour deux passions, la danse et le tir à l’arc, le tout alimenté par l’amour de mes chers parents. J’avais trouvé en cet art subtil, le moyen de m’échapper, de contrôler un monde rien qu’à moi. A l’âge de six ans à peine j’étais devenue une droguée. Je ne vivais que pour la danse, ma vie s’organisait autour de mon art. Je me souviendrais toujours de cette excitation qui parcourt mon corps avant chaque entrée en scène. Toutes ces heures passées à répéter qui me servent enfin à accomplir un dessein plus grand. Montrer aux spectateurs que mon art n’est pas censé en mettre plein la vu, qu’au contraire il est là pour faire partager mes émotions, mes aspirations. Pour vivre ma passion à plein temps mes parents m’inscrivirent dans une école assez prestigieuse avec l’aide des bourses auxquelles j’avais eu droit. C’est à partir de l’âge de treize ans que ma passion prend enfin une ampleur considérable. Je suis heureuse. Voire même plus.

Il n’y a pas de passage plus compliqué que celui de l’enfance à l’adolescence. Tout le monde pourra vous le dire. L’adolescence c’est le corps qui se prend pour Dieu, le cœur qui s’emballe au moindre regard du sexe opposé, et l’esprit qui décide de ne plus s’en mêler parce que de toute façon on ne l’écoute pas. Trop occupée par ma passion, ma raison de vivre, je ne remarque très peu les hommes comme les femmes autour de moi. Je préfère la douce harmonie des notes à la grouillante vie estudiantine qui s’organise autour de moi.