La nuit venait de tomber, le ciel avait laissé place aux étoiles scintillantes, les lustres du château étaient maintenant allumés signifiant que l'heure était arrivée. Enfin ... J'attendais ce moment depuis des jours après avoir rédigé une lettre pour mon bien-aimé, à l'abri des regards indiscrets et surtout de Valentin. Personne n'était au courant mise à part quelques proches, l'existence de ma relation avec Simon était un secret que je gardais précieusement. Grâce à Maverick, ma correspondance avait pu arriver à bon port au château de la reine rouge. Il ne fallut que peu de temps avant de recevoir sa réponse. Mon coeur battait à la chamade. Autant dire que j'étais sur un petit nuage, il avait accepté qu'on se voit. Enfin, ce soir j'allai pouvoir le serrer dans mes bras.

Cela faisait depuis si longtemps que je ne l'avais pas vu et je n'avais qu'une seule hâte : quitter l'antre de ce château pour m'enfoncer dans les profondeurs de Wonderland. J'avais donné rendez-vous à Simon près de l'arbre de vie dans la partie neutre de ce monde. Je savais que là, on allait être tranquille, sans être épié.

Pour l'occasion, j'avais mis l'une de mes plus belles robe, celle qui faisait ressortir mes yeux azur et qui plaisait tant à l'élu de mon coeur. Je mis une longue cape noir sur mes épaules et m'extirpa de ma suite. Cependant, sortir du château était devenu de plus en plus difficile, mais j'avais plus d'un tour dans mon sac. Je sortis mon arme secrète : une potion de sommeil versé dans un pot d'eau avant de le servir aux gardes. J'arrivais sournoisement abordant un sourire empli de malice avant de leur proposer un rafraichissement.

Je savais qu'ils n'allaient pas résister à mon offre, trop heureux de pouvoir courtiser une dame de la reine. Il ne fallut que peu de temps avant qu'ils ne sombrent dans les bras de morphée.

"Et c'est ça la fierté de la garde royale ?"

C'était un avantage de préparer les potions auprès de la reine, je pouvais avoir accès à la salle prévue à leur confection. Ni une, ni deux, je sortis du château par la porte que les gardes étaient censées garder. Je savais qu'ils n'allaient pas tarder à se réveiller en ayant absolument tout oublié jusqu'à mon intervention.

Le chemin était encore long avant d'arriver à destination. Je slalomais à travers les arbres sinueux, les branches cassées et la flore de Wonderland. Il fallait que je fasse attention à chacun de mes pas, gardant un yeux derrière moi. Il fallait que je fasse attention à toujours rester discrète, beaucoup de personnes pouvaient utiliser mon secret pour arriver à leurs fins et je détestais être sous l'emprise d'autrui. C'est moi qui manipulait les autres et non l'inverse, me retrouver en infériorité sous le poids de mon secret serait un véritable drame. Mais que ne ferais-je pas pour garder Simon auprès de moi ? J'avais déjà fait d'énorme sacrifice pour rester auprès de la reine : Valentin. Mon fardeau, ma malédiction.

Il fallait que j'arrête d'y penser, ce soir était ma soirée et rien ne pourrait en cauchemars. Wonderland avait déjà fait tout le travail en transformant ce monde en enfer, déchirant les contrées et m'empêchant d'être heureuse. J'avais déjà songé à tout raconter à la reine, mais qu'aurait-elle fait ? Me voir heureuse alors qu'elle sombrait dans son malheur aurait été une véritable tragédie. J'aurai fini sur sa table d'autopsie, laissant mon corps à ses expériences sadiques. Rien que d'y penser, j'en tremblais de peur.

Le temps semblait passer à une vitesse que je n'arrivais pas à déterminer, le paysage défilait sous mes yeux, découvrant des régions que je ne connaissais pas encore. C'était la première fois que Simon et moi nous rendions à l'arbre de vie, j'espère que j'étais sur le bon chemin. Alors que je me croyais perdu, je le vis enfin. Cet arbre gigantesque entouré de ces fleurs jaunes ensoleilles : des tournesols. Je m'approchais doucement. Etait-il déjà là ?

"Simon ? Simon tu es là ?"

Une ombre fit son apparition laissant apparaitre l'homme de ma vie. Je n'y croyais pas, c'était un rêve que je n'espérais plus. Il était caché par l'ombre de l'arbre, mais je pouvais voir qu'il tenait un ravissant bouquet de fleur dans ses mains. Des roses rouges : mes préférées, j'avais de la chance d'avoir cet homme rien que pour moi. La distance était insoutenable, je m'approchais de lui enroulant mes bras autour de lui, savourant sa présence, ses caresses et ses baisers. Je prenais des risques à chaque fois que je m'extirpais de ma prison de glace, mais je savais pourquoi, pour être avec lui. Rien qu'avec lui.

Nous n'avions que peu de temps à passer ensemble, il fallait qu'on en profite le plus possible. Nous ne pouvions pas rester ainsi toute la nuit, il fallait que l'on rentre dans nos dortoirs respectifs pour éviter d'éveiller des soupçons.

  

Le temps passait inlassablement trop vite quand j'étais avec Simon. La lune était à son zénith que déjà on devait de se quitter. C'était un véritable déchirement, j'avais l'impression de mon coeur restait ici, avec lui et que je n'étais plus que l'ombre de moi-même dans la forteresse. D'un dernier baiser, je lui fis mes adieux avant de le voir disparaitre à la lisière de la forêt. Il était temps pour moi de partir, de quitter ce lieu magique qui avait fait revivre mon coeur. D'un dernier coup d'oeil, je me remémorais cet arbre majestueux avant de rebroussé chemin.

Je pensais que tout était parfait, que mon plan était parfait, seulement j'étais loin d'avoir tout calculé. J'entendis des bruits près d'un buissons. Quelqu'un était là, quelqu'un nous avait surpris. Etait-ce le début de mon cauchemars ? ... A n'en pas douter ! Cacher derrière un arbuste, le coupable se fit connaitre.

Spoiler:

Il fallait que tu sortes. Que tu ailles prendre de l’air. Que tu respires un peu, pour te sentir vivante, pour que tu arrêtes de te sentir aussi étouffée, aussi morte. Tu ne vivais plus depuis que tu ne dansais plus, et les voir toutes, sur scène, être si belles, si lumineuses, si brillantes, si parfaites… Cela te rendait malade et tu n’en pouvais plus, toi, derrière ton bar miteux, à servir aux clients toutes sortes de boissons. À leur sourire avec hypocrisie. À envier les danseuses du bar, à envier leur grâce. Leurs jambes. À un certain point, tu n’en peux plus, étouffée par tant de mauvais sentiments, et tu t’excuses auprès de Blue, qui, étrangement, te laisse sortir. Les clients se faisaient plus rares, et il a dû voir que ton service n’allait pas en s’améliorant. Loin de là. Tu étais maladroite, et tu avais souvent failli trébucher avec ta jambe. Tu avais beau l’avoir depuis deux ans, tu n’étais pas encore tout à fait à l’aise avec elle, refusant encore son existence, peinant à l’accepter et à accepter le fait qu’elle ferait partie de toi pour de longues années encore. Elle te dégoûtait. Tu te dégoûtais. Et Blue, malgré ses défauts, semblait avoir fini par le comprendre, ou du moins à comprendre que tu ne serais plus vraiment pareille. Tu étais donc sortie, soupirant de soulagement quant à aller marcher un peu, te rappelant cependant que tu ne pourrais pas marcher bien longtemps : tu avais du travail. Une obligation. La Reine Blanche t’attendait de pied ferme, et tu craignais plus que tout qu’elle ne s’enfuit avec ton autre jambe.

Tu avais passé l’après-midi à l’extérieur, flânant ici et là, tentant d’oublier tes problèmes, tes doutes, tes inquiétudes. Ta honte. Ta douleur. Tu voulais oublier qui tu étais, et marcher dans le Wonderland semblait la meilleure solution. Tu voulais oublier que tu n’étais plus une danseuse, que tu n’étais plus rien. Et regarder tout ce monde mort, fané, t’aidait. Tu n’étais pas la seule à souffrir, ça, c’était clair. Tu te doutais que Blue ne t’avait pas laissé partir en pensant que tu ne reviendrais pas avant plusieurs heures. Tu étais plutôt comme un gentil chien de compagnie avec lui, te pliant à ses exigences comme une bonne employée se plierait à celles de son patron. La soirée allait bientôt commencer et tu te devais de rentrer à la Sirène Mutilée pour travailler, pour continuer à servir des verres aux gens. Pour continuer à leur parler, à leur sourire, à faire semblant d’être intéressée par leur vie. Et, surtout, à faire semblant de ne pas voir les danseuses sur la scène. Faire semblant que pour toi, elles n’existaient pas et qu’elles ne feraient jamais partie de ta vie. C’était difficile. C’était laborieux, et parfois tu avais l’impression que tu réussissais. Que ta haine envers les danseuses s’envolait et que tu finirais par te sortir de ce cercle vicieux. Mais non. Toujours ces sentiments malsains qui remontaient à la surface. L’envie, la jalousie. Tu leur en voulais d’exister, de ne pas se rendre compte de leur chance. La chance d’avoir deux jambes humaines, deux jambes qui marchaient. Deux jambes pour danser. Tu ne comprenais pas pourquoi elles n’étaient pas en extase devant leurs jambes. Peut-être parce qu’on ne se rend pas compte de l’importance de nos membres jusqu’à ce qu’on en perde un. Tu t’étais bien brisée le bras, mais cela n’avait pas eu d’incidences sur ta vie. Ton bras, tu t’en fichais complètement. Ta jambe, par contre…

Tu aurais voulu rentrer. Tu aurais dû rentrer, mais ta jambe t’obsédait encore. Tu devais aller voir la Reine Blanche, lui parler, la supplier. Non. Pas la supplier. Tu savais que tu étais en position de faiblesse, tu ne tenais pas à accentuer la chose, à étaler l’ampleur de celle-ci devant celle qui était désormais ton ennemie. Tu lui en voulais, de t’avoir pris ce qui t’étais le plus cher, pour des raisons qui te paraissaient futiles. Tu lui en voulais, et tu allais retrouver ta jambe, d’une façon ou d’une autre. En entrant dans son château, tu remarques cependant que les gardes sont profondément endormis. Tous. Et tu trouves ça louche. Tu vois une ombre gracieuse se faufiler entre les arbres et tu décides, contre toute attente, de la suivre. Peut-être pourrais-tu la reconnaître, ou du moins l’apercevoir pour pouvoir décliner son identité à la Reine Blanche. Dénoncer cette fuite pourrait peut-être te ramener dans ses bonnes grâces. Tu la suis donc, tentant d’être le plus discrète possible malgré ta jambe qui fait tic-tac. Tu restes assez éloignée pour qu’elle ne l’entende pas (tu sais exactement à quelle distance ta jambe cesse de se faire entendre) et tu la suis. Tu la suis pour pouvoir l’attraper sur le vif, voir où elle se rend et pourquoi. Tu ne tardes pas à le découvrir. Cachée dans les buissons, ta jambe recouverte de tout ce que tu as trouvé pour assourdir son bruit, tu la vois avec un sbire de la Reine Rouge. Blasphème! Trahison! Tu jubiles de ta découverte, et tu les observes en tentant de trouver un moyen de t’enfuir sans qu’ils ne te voient. Comme tu n’en vois aucun, tu les regardes s’embrasser, se parler, se câliner, tous ces trucs pathétiques que font les gens qui ressentent quelque chose envers une autre personne. C’en est presque émouvant. Tu tentes de t’extirper du buisson sans remarquer que la rencontre des deux tourtereaux est terminée, et tu vois bien que la demoiselle a remarqué qu’il y a du bruit dans ton coin. Tu décides donc de te montrer, les mains sur les hanches, un sourire victorieux accroché aux lèvres.

« Alors, ma jolie, on s’autorise à sortir le soir pour aller batifoler avec l’ennemi? Vous êtes tellement mignons, c’est dommage que je sois dans l'obligation de mettre fin à vos petites escapades… »

Mon amour, ma malédiction ...

« Alors, ma jolie, on s'autorise à sortir le soir pour aller batifoler avec l'ennemi ? Vous êtes tellement mignons, c'est dommage que je sois dans l'obligation de mettre fin à vos petites escapades... »

Prisonnière. Paniquée. Prise la main dans le sac. Toutes sortes d'émotions traversaient mon esprit en cet instant. Comment avais-je pu négliger ça ? J'aurais dû être plus discrète, faire plus attention. J'étais au pied du mur. Qui était-elle ? Qu'avait-elle vu exactement ? Visiblement, elle était au courant de ma mascarade. Je voyais mes plans s'effondrer tel un château de carte. Adieu Simon. Adieu tous mes rêves et mes espoirs.

Des larmes silencieuses commençaient à perler aux recoins de mes yeux, mais je devais faire face. Être forte, ne pas montrer ma faiblesse. Plus facile à dire qu'à faire, mais c'était ma seule solution. Le seul moyen de me protéger. Elle connaissait mon secret, je n'avais donc plus rien à perdre mise à part la vie.

Il est certain que si elle divulguait le pot-au-rose à la reine blanche, je subirais sa colère sans aucune clémence de sa part. Intérieurement, j'avais envie de hurler ... Hurler contre le destin qui m'obligeait à me cacher, hurler contre moi-même, contre ma faiblesse d'être tombé amoureuse. Que pouvais-je faire d'autres que de me cacher ? Tromper ma propre famille, les miens ...

Je fis face à cette grande blonde. Derrière ses cheveux en cascade, je pouvais voir des yeux persan qui me détaillaient. Tout en elle reflétait la perfection sauf une seule chose ... Tel un enchevêtrement mécanique, sa jambe de fer donnait une touche robotique à cette femme. Comment cela lui était arrivé ? Je divaguais alors que je devais rester concentrer. Je venais de quitter Simon, si je l'appelais pourrait-il m'aider ? M'entendrait-il ? Je réalisais alors que je l'avais peut-être vu pour la dernière fois. J'étais totalement désarmé, il y avait tellement de choses que je n'avais pas eu le temps de lui dire.

J'affrontais son regard, espérant l'intimidé peut-être. Que devais-je lui répondre ? Feindre l'indifférence ? ... Non, je n'étais pas une gamine et le mensonge ne m'aiderait pas ce soir. Son regard déterminé me fit comprendre que ce n'était pas une solution.

"Qui es-tu ? Qui es-tu pour oser porter un jugement ? Je n'ai que faire de tes remontrances. Va droit au but ! Qu'est-ce que tu veux ? "

J'étais sèche, mais c'était délibéré. Ma vie et mon couple étaient en danger et je ferai tout pour le préserver. Dans ma tête toutes les solutions tournaient en rond, l'une d'elle traversa mon esprit. D'une main, je caressais ma vorpal coincé dans mon dos. Je l'avais toujours sur moi au cas où. Ce soir aurais-je l'occasion de l'utiliser ? L'idée était tentante, mais j'avais fait assez d'imprudence pour cette nuit et je voulais attendre la suite des évènements. Je ne devais plus agir sur un coup de tête.