Avec mon index, je caresse la cicatrice qui se trouve juste en dessous de mon nombril. Un frisson de plaisir parcoure mes veines et un sourire sadique naît sur mes lèvres. Ah je m’en rappelle parfaitement. Charlotte. Elle a été ma toute première. Je nous revois encore, courir pour échapper à ses parents, faire la cour dans une petite ruelle de la ville de Londres. Je la vois se débattre alors que je ne peux plus attendre. Je l’entends hurler, me lacérer le dos de ses ongles et abandonner la lutte alors que j’étouffe ses cris de ma main. Puis je la quitte. Et là je me dis que j’ai envie de graver cet instant à jamais dans ma mémoire. Une fois rentré dans ma maisonnée, je me saisis d’une lame pour trancher une miche de pain et fais à nouveau dérouler la scène sans rien omettre. Odeur, gout, vision, sensations... Je regrette amèrement de ne pas avoir eu d’armes avec moi. A défaut, je soulève ma chemise et coupe ma propre peau. Comme s’il s’agissait d’elle. J’ai mal, mais monseigneur, qu’est-ce que c’est bon ! Alors qu’un mince filet de sang coule et tâche mes bas, je me mets à rire en imaginant mes prochaines œuvres.
La semaine suivante, il y a eu April, June et October. Trois sœurs en une soirée. Des petites garces qui n’ont pas hésité à m’accoster afin de se faire des petits écus facilement. Pour jouer. Comprenant que j’acceptais, elles ont changé d’avis. Pas moi. Mes doigts touchent distraitement chacune de mes cicatrices. Bienvenue, Mary, Adele, Solange.. Je pourrais rester des heures à parler de ces catins, de leur regard dégouté qu’elles ont compris qui je suis. Des jours même. Quand ils ont compté les traces sur mon corps ils sont arrivés au total de 157.
Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on en a à faire ? Ce n’est pas comme si mon enfance vous intéressait réellement. Est-ce que cela vous aiderait de savoir que c’est la façon dont mon père traitait ma mère ? Que j’ai été battu, traumatisé étant gamin ? Oh le pauvre, il a une histoire bien malheureuse ! Ah non… j’en ai une meilleure. Je n’ai jamais connu mon père, ma mère était une putain et elle m’a toujours reproché d’être dans ses pattes. Compréhensible ? Pardonnable ? Ah ah ah ! Mais je n’en veux pas moi de votre pardon ! J’ai apprécié chacun de ces moments et je ne possède aucun remord. Lionel Sycomore Griffith. Cette chaise électrique, je l’ai mérité et j’en suis fier.

Pieds sur la table, j’essuie avec mes doigts le sang frais qui goutte sur le sol et relève ma manche droite avant de me rappeler que ce bras-ci est d’ores et déjà saturé. J’aperçois alors un habitant du château et lui lance un sourire avant d’inverser de mains. Quel brave petit, je devine à son air que sa pêche a été bonne et qu’il a dû massacrer quelques petits joujoux de la reine blanche. Tout a également fonctionné pour moi. Comme d’habitude, j’ai souri et j’ai charmé. Comme d’habitude elle est tombée dans le panneau et comme d’habitude elle a commencé à pousser des hurlements horrifiés lorsqu’elle a découvert mon corps strié de traces et de cicatrices. Certaines encore fraîches et rosâtres d’autres blanchies par le temps et toujours visibles. Le mieux a été quand elle a senti les boursouflures des plaies mal soignées. Un regard qui en disait long sur ses pensées. Mais je suis plus fort, toujours. Et quand elle l’a compris il était déjà trop tard. J’enfonce la lame au niveau de mon épaule et trace une parfaite ligne droite en songeant à nouveau à ce petit instant délicieux. J’aime prendre mon temps pour ce genre de choses. Savourer mes assassinats. Mais tout le monde ne peut pas s’en offrir le luxe. Si mes partenaires souhaitent se promener dans le Wonderland, ils doivent impérativement apporter des résultats.
Je ne sais même plus comment cette petite guerre avec la reine blanche a commencé. Ce dont je me souviens c’est d’avoir passé une nuit en son château. Je crois même qu'il s'agit de mon tout premier souvenir. Étrange... et puis après tout on s'en moque ! On a d'autres lapins blancs à fouetter. Bref, je me rappelle également d'en avoir été expulsé le jour suivant lorsqu'une des servantes a aperçu mon corps détruit. Panique, dégoût, repoussement, mes bras ont aussitôt réagi et lui ont fait payer son manque de retenue. Autant dire que la patronne n’a pas tellement apprécié. Je me rappelle avoir erré quelques jours et être parvenu à cette bâtisse d’un rouge sang. Exactement comme celui qui s’échappait de ma jambe. Je crois bien qu'il s'agit de la raison pour laquelle je m’y suis installé. Même si je n’ai aucune raison de jalouser la reine blanche j’y mets toute mon âme. Parce que c’est drôle de voir ses petits habitants gesticuler et fuir en criant au flamant rose. De les attraper et de les vider comme des vaches volantes.
Par réflexe, je prends entre mes lèvres la goutte de sang qui menace de salir mon sol. Je songe aux évènements récents, au soi-disant assassinat du Sad Hatter. Voilà qui n’arrange pas mes affaires, je suis certain que ses pauvres sujets vont vouloir se venger et vont nous soupçonner. Par simple préjugé puisqu’on nous considère comme des êtres abjects et violents. Une âme rongée, presque inexistante. Ce qui est vrai je le conçois. On ne m’a pas surnommé Shadow pour rien. Mais nous sommes innocents. Ou si l’un d’entre nous l’a effectivement exécuté, je n’en suis aucunement responsable. Franchement j’ai déjà bien assez à faire ici. Je ne prends presque plus le temps de savourer ces petits-moments de paix. Je regarde une fois de plus l’hémoglobine couler le long de mon bras. Je vais bientôt devoir me tourner sur les jambes. Pourquoi pas demain ?